Le Droit dans tous ses états

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La sanction du dépassement et du détournement de pouvoir

Quid de la sanction dans l’hypothèse où le représentant a agi en dépassement de son pouvoir, voire en le détournant ?

Les articles 1156 et 1157 du Code civil invitent à distinguer le défaut ou dépassement de pouvoir de son détournement.

A) La sanction du défaut ou dépassement de pouvoir

Lorsqu’un représentant agit sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, l’acte ainsi accompli ne saurait, en principe, produire d’effet à l’égard du représenté. L’article 1156 du Code civil prévoit à cet égard deux sanctions : l’inopposabilité de l’acte et sa nullité, à la discrétion du tiers contractant. Toutefois, ces sanctions peuvent être neutralisées par la ratification du représenté, mécanisme qui confère rétroactivement à l’acte sa pleine efficacité.

1. Les sanctions applicables: l’inopposabilité et la nullité de l’acte

a. L’inopposabilité de l’acte

Lorsqu’un représentant agit en dehors des limites du pouvoir qui lui a été conféré, l’acte qu’il conclut est privé d’effet à l’égard du représenté. Cette situation est expressément prévue par l’article 1156, alinéa 1er, du Code civil, qui énonce que « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté ».

L’inopposabilité se distingue des autres sanctions en ce qu’elle ne remet pas en cause la validité intrinsèque de l’acte. L’acte demeure en lui-même juridiquement valable, mais il ne peut être imposé au représenté. Cette solution s’inscrit dans une logique de protection du représenté, qui ne saurait être lié par un engagement contracté en dehors des limites qu’il avait fixées.

==>Principe: l’inefficacité de l’acte à l’égard du représenté

L’inopposabilité de l’acte emporte plusieurs conséquences :

  • Le représenté ne peut être contraint d’exécuter l’acte : l’acte, bien que conclu, ne produit aucun effet à son encontre. Il ne pourra être recherché en responsabilité pour inexécution du contrat, ni contraint d’honorer les obligations qui en résultent.
  • Le représentant demeure seul engagé : l’acte accompli par le représentant en dépassement de pouvoir ne disparaît pas juridiquement, mais il ne lie que celui qui l’a conclu. Ainsi, le représentant supporte seul les obligations contractuelles, sauf s’il parvient à démontrer que le tiers contractant connaissait l’absence de pouvoir.

À titre d’illustration, un dirigeant de société qui souscrirait un emprunt au nom de la société sans avoir reçu l’autorisation nécessaire ne saurait engager cette dernière. L’établissement prêteur ne pourra exiger le remboursement qu’à l’égard du dirigeant lui-même, à moins que la société ne ratifie l’acte.

L’inopposabilité ne doit pas être confondue avec la nullité. Alors que la nullité anéantit l’acte rétroactivement, l’inopposabilité en limite seulement les effets. Un acte frappé de nullité disparaît totalement de l’ordre juridique, tandis qu’un acte inopposable demeure valide, mais sans effet à l’égard du représenté. Cette distinction permet notamment au tiers contractant d’agir contre le représentant pour obtenir l’exécution forcée du contrat ou des dommages-intérêts.

b. L’exception au principe : le mandat apparent

L’inopposabilité de l’acte n’est pas absolue. Elle peut être écartée lorsque le tiers contractant a pu légitimement croire que le représentant disposait du pouvoir d’engager le représenté. Cette exception, fondée sur la théorie du mandat apparent, est consacrée par l’article 1156, alinéa 1er in fine, et trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

==>Le fondement du mandat apparent

Dans un célèbre arrêt d’Assemblée plénière du 13 décembre 1962 (Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.569), la Cour de cassation a reconnu que le représenté peut être tenu par un acte conclu sans pouvoir lorsque les circonstances ont légitimement conduit le tiers à croire que le représentant était habilité à agir en son nom.

Dans cette décision, il était question d’un dirigeant d’une banque qui avait souscrit un engagement de caution au nom de l’établissement sans disposer des pouvoirs nécessaires. La Cour de cassation a jugé que l’Administration des Domaines, cocontractante, avait pu légitimement croire en la validité de cet engagement, et qu’en conséquence, l’acte devait être maintenu.

L’arrêt retient une conception objectivée de la croyance légitime : il n’est pas nécessaire que le représenté ait commis une faute pour que son engagement soit maintenu. Ce qui importe, c’est que le tiers ait pu, sur la base d’éléments objectifs, considérer que le représentant disposait d’un pouvoir suffisant.

==>Les conditions de mise en œuvre du mandat apparent

L’application de la théorie du mandat apparent repose sur plusieurs conditions cumulatives :

  • Une apparence légitime de pouvoir
    • Le tiers doit pouvoir démontrer qu’il avait des raisons valables de croire que son cocontractant disposait bien du pouvoir de représenter la personne concernée.
    • L’apparence peut résulter :
      • De la fonction occupée par le représentant (ex. : un directeur financier concluant un contrat bancaire au nom de la société).
      • De pratiques antérieures acceptées sans contestation par le représenté.
      • De documents officiels ou communications laissant croire que le représentant disposait d’un pouvoir suffisant.
  • L’absence de faute ou de négligence du tiers
    • La croyance du tiers doit être légitime.
    • Si le tiers pouvait raisonnablement douter des pouvoirs du représentant, il lui appartenait de procéder aux vérifications nécessaires.
    • À cet égard, la réforme du droit des obligations a introduit une action interrogatoire permettant au tiers de demander confirmation des pouvoirs du représentant avant de conclure l’acte (C. civ., art. 1158).
  • Un comportement du représenté propre à entretenir l’apparence
    • Bien que la jurisprudence n’exige plus que le représenté ait volontairement contribué à l’erreur du tiers, son comportement doit néanmoins avoir favorisé cette croyance.
    • Par exemple, une entreprise qui laisserait systématiquement un salarié négocier et signer des contrats avec des fournisseurs pourrait se voir opposer le mandat apparent si elle refusait ensuite de reconnaître la validité d’un engagement pris par ce salarié.

==>Les effets du mandat apparent

Lorsque le mandat apparent est établi, l’acte devient opposable au représenté, comme s’il avait été conclu par un représentant dûment habilité. Ce dernier ne pourra plus invoquer le défaut ou le dépassement de pouvoir pour s’exonérer de l’exécution de l’acte.

Cependant, l’engagement du représenté ne signifie pas pour autant que le représentant est exonéré de toute responsabilité. Celui-ci pourra être poursuivi en responsabilité pour faute si son comportement a causé un préjudice au représenté.

c. La nullité de l’acte

L’article 1156, alinéa 2, du Code civil prévoit la nullité de l’acte à la main du tiers contractant lorsqu’il ignorait que l’acte avait été conclu sans pouvoir ou en dépassement de pouvoir. Cette disposition marque une rupture avec la jurisprudence antérieure, qui réservait l’action en nullité au seul représenté.

La reconnaissance de ce droit au bénéfice du tiers s’inscrit dans une logique de protection contractuelle, lui permettant d’obtenir réparation face à une situation qu’il n’a pas pu anticiper.

i. Une sanction laissée à la discrétion du tiers contractant

L’article 1156, alinéa 2, confère au tiers contractant une faculté de choix entre deux options en cas de défaut ou de dépassement de pouvoir du représentant :

  • Option 1 : Demander l’exécution du contrat
    • Le tiers peut choisir de maintenir l’acte, en le rendant opposable au seul représentant.
    • Dans cette hypothèse, le représentant, qui a agi sans pouvoir, reste seul tenu des obligations contractuelles.
    • Il peut donc être contraint d’exécuter le contrat ou de verser des dommages-intérêts en cas d’inexécution.
  • Option 2 : Invoquer la nullité de l’acte
    • À l’inverse, le tiers peut demander l’anéantissement rétroactif de l’acte, comme s’il n’avait jamais existé.
    • Cette solution lui permet de se dégager de l’engagement pris et d’éviter d’être lié par un contrat qu’il n’aurait pas conclu en connaissance de cause.

Ce pouvoir d’option confère une sécurité juridique accrue aux tiers, en leur laissant la possibilité de choisir la sanction la plus conforme à leurs intérêts. Il s’agit d’un renforcement significatif de leur protection, notamment dans des situations où ils se retrouvent engagés par un acte irrégulier sans en avoir eu conscience.

Exemple :

Un fournisseur conclut un contrat de prestation de services avec un dirigeant de société qui, en réalité, n’avait pas reçu d’habilitation statutaire pour engager l’entreprise.

Si le fournisseur découvre ultérieurement cette irrégularité, il pourra :

  • Soit exiger du dirigeant personnellement l’exécution du contrat ;
  • Soit invoquer la nullité du contrat et réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice subi.

ii. La fin de la solution jurisprudentielle antérieure

Avant la réforme de 2016, la jurisprudence réservait l’action en nullité au seul représenté, considérant que seul ce dernier avait intérêt à agir en raison de l’irrégularité du pouvoir de représentation.

==>La position antérieure de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 2 novembre 2005 (Cass. 1re civ., 2 nov. 2005, n° 02-14.614), la Cour de cassation avait jugé que la nullité d’un contrat conclu en l’absence de pouvoir du mandataire était une nullité relative, qui ne pouvait être invoquée que par le représenté.

Cette solution reposait sur une interprétation stricte de la nullité relative, considérée comme une sanction protectrice d’un intérêt individuel, en l’occurrence celui du représenté. Le tiers contractant, lui, ne pouvait se prévaloir de l’irrégularité du pouvoir, quand bien même il aurait été trompé sur la capacité du représentant à agir.

Conséquence : avant la réforme, un tiers qui ignorait que l’acte avait été conclu sans pouvoir ne pouvait pas demander la nullité. Il devait attendre que le représenté invoque lui-même l’irrégularité pour voir l’acte anéanti. Cette situation était particulièrement préjudiciable au tiers, qui pouvait se retrouver engagé malgré son ignorance.

==>L’inflexion opérée par l’article 1156 du Code civil

Le législateur a choisi d’inverser cette logique en donnant au tiers la possibilité d’agir directement en nullité lorsqu’il ignorait l’absence de pouvoir du représentant.

Cette solution se justifie pleinement :

  • Le tiers est le premier affecté par l’irrégularité
    • Dans la majorité des cas, c’est le tiers qui a un intérêt direct à voir l’acte annulé, puisqu’il a contracté dans une croyance erronée.
    • Il est donc cohérent de lui permettre d’agir pour protéger ses intérêts.
  • Un renforcement de la sécurité contractuelle
    • En lui laissant le choix entre l’inopposabilité et la nullité, le tiers n’est plus tributaire de la volonté du représenté pour obtenir réparation.
    • Il dispose d’une véritable autonomie d’action.
  • Une cohérence avec l’évolution du droit des obligations
    • La réforme de 2016 a visé à renforcer la protection des contractants de bonne foi et à éviter les déséquilibres dans les relations contractuelles.
    • Accorder au tiers le droit d’agir en nullité s’inscrit dans cette logique.

iii. Les effets de la nullité

Lorsque le tiers exerce son option pour la nullité, l’acte est anéanti rétroactivement, comme s’il n’avait jamais existé. Cette conséquence implique plusieurs effets :

  • L’anéantissement de toutes les obligations contractuelles
    • Aucune des parties ne peut plus se prévaloir des engagements contractuels.
    • Si des prestations ont déjà été exécutées, elles doivent être restituées.
  • Le retour au statu quo ante
    • La nullité a un effet rétroactif : chaque partie doit être replacée dans la situation qui était la sienne avant la conclusion du contrat.
    • En cas d’impossibilité de restitution en nature, une indemnisation peut être envisagée.
  • La responsabilité du représentant fautif
    • Lorsque l’acte est annulé, le représentant qui a contracté sans pouvoir peut être tenu de réparer le préjudice subi par le tiers contractant.
    • Cette responsabilité repose sur une faute dans l’exercice de la représentation.

Exemple :

Un salarié négocie et signe un contrat de fourniture au nom de son entreprise alors qu’il n’a pas été habilité à le faire.

  • Si le fournisseur ignorait cette irrégularité, il pourra demander la nullité du contrat et exiger une indemnisation du préjudice subi.
  • Le salarié, en tant que représentant fautif, pourra être tenu de verser des dommages-intérêts pour avoir induit le tiers en erreur.

2. Le remède aux sanctions: la ratification de l’acte

L’article 1156, alinéa 3, du Code civil prévoit une solution permettant de corriger a posteriori un acte accompli sans pouvoir ou en dépassement de pouvoir par le représentant : la ratification.

Ce mécanisme permet au représenté, s’il le souhaite, d’approuver rétroactivement l’acte irrégulier, lui conférant ainsi la même efficacité juridique que s’il avait été valablement conclu dès l’origine.

L’objectif de cette disposition est double :

  • Protéger le représenté, en lui laissant le choix de valider ou non l’acte accompli en son nom sans respecter les règles de la représentation.
  • Préserver la sécurité juridique, en évitant qu’un simple dépassement de pouvoir n’entraîne systématiquement l’invalidité de l’acte, ce qui pourrait compromettre les relations contractuelles avec les tiers.

Ainsi, la ratification neutralise rétroactivement l’irrégularité initiale, permettant de considérer que l’acte a toujours été valable, comme si le représentant avait agi dès le départ dans les limites de ses pouvoirs.

a. Notion de ratification

La ratification est un acte unilatéral par lequel le représenté décide d’approuver rétroactivement un acte accompli sans pouvoir ou au-delà des pouvoirs conférés au représentant. Elle vise à régulariser une situation qui, à l’origine, était irrégulière en raison d’un défaut de représentation.

En conséquence, l’acte devient pleinement valable et opposable au représenté, comme si le représentant avait agi dans les limites de ses pouvoirs dès l’origine.

La ratification ne doit pas être confondue avec la confirmation, bien que ces deux notions visent à valider des actes irréguliers.

 

Critères Ratification Confirmation
Objet Acte accompli sans pouvoir ou en dépassement de pouvoir Acte entaché d’une nullité relative pour irrégularité de fond ou de forme
Effet Rend l’acte opposable au représenté Éteint la possibilité d’invoquer la nullité
Texte applicable Article 1156, alinéa 3, du Code civil Article 1182 du Code civil
Effet rétroactif? Oui, l’acte produit ses effets depuis son origine Pas nécessairement, la confirmation peut ne produire effet qu’à compter de son accomplissement

 

L’enjeu de cette distinction est fondamental : la ratification lie le représenté à l’égard des tiers, alors que la confirmation concerne uniquement les parties au contrat.

b. Conditions et modalités de la ratification

L’article 1156 du Code civil est silencieux sur les conditions de ratification d’un acte accompli sans pouvoir ou en dépassement de pouvoir. C’est donc à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de les définir.

==>Une manifestation de volonté claire et non équivoque

La ratification suppose que le représenté exprime de manière claire et indiscutable son intention de valider l’acte irrégulier. Cette expression peut être expresse ou tacite.

  • Ratification expresse : elle résulte d’une déclaration formelle du représenté, par écrit ou oralement. Il peut s’agir d’un courrier, d’un email ou d’un acte signé dans lequel le représenté accepte l’acte accompli en son nom.
  • Ratification tacite : elle découle du comportement du représenté, qui laisse supposer sans ambiguïté qu’il accepte l’acte irrégulier.

Dans un arrêt du 17 janvier 2018, la Cour de cassation a considéré qu’une exécution volontaire d’un contrat irrégulier valait ratification implicite (Cass. com., 17 janv. 2018, n°16-22.285).

Ainsi, si une société commence à exécuter un contrat signé par un dirigeant sans pouvoir (paiement, livraison, mise en œuvre des obligations), elle est réputée avoir ratifié ce contrat, même en l’absence d’un accord écrit formel.

Toutefois, en simple silence ne saurait, en principe, valoir ratification. Certaines décisions ont néanmoins admis qu’un silence prolongé, combiné à d’autres éléments, pouvait être interprété comme une acceptation tacite.

==>Un consentement libre et éclairé

La ratification ne produit d’effet que si le représenté a donné son accord en toute connaissance de cause. Cela implique :

  • L’information du représenté sur l’irrégularité de l’acte : il doit être conscient que l’acte a été accompli sans pouvoir ou en dépassement de pouvoir.
  • L’absence de vice du consentement : si le représenté a été victime d’une erreur, d’un dol ou d’une violence, la ratification pourrait être contestée et déclarée nulle.

Pour exemple, si un dirigeant approuve un contrat en pensant que le représentant avait les pouvoirs nécessaires alors que ce n’était pas le cas, et qu’il découvre plus tard qu’il a été trompé, il pourrait tenter d’annuler sa ratification pour vice du consentement.

==>L’absence d’exigence de forme

L’article 1156 du Code civil ne prévoit aucune exigence formelle pour la ratification. En conséquence :

  • Elle peut être expresse ou tacite.
  • Aucun formalisme particulier n’est requis : une lettre, un email, un simple acte d’exécution suffisent à établir la ratification.
  • La charge de la preuve incombe à celui qui invoque la ratification.

Il peut être observé que certaines décisions ont admis qu’un commencement d’exécution pouvait suffire à caractériser une ratification tacite. Toutefois, la doctrine reste partagée sur ce point : certains auteurs considèrent que la volonté du représenté doit être non équivoque, ce qui exclurait toute ratification purement passive.

c. Les effets de la ratification

==>L’effet rétroactif de la ratification

La ratification d’un acte accompli sans pouvoir ou en dépassement de pouvoir produit, en principe, un effet rétroactif. Elle a pour conséquence de neutraliser l’irrégularité initiale et de conférer à l’acte une validité rétroactive, comme si le représentant avait disposé des pouvoirs nécessaires dès l’origine.

Autrement dit, l’acte est réputé avoir été régulièrement conclu dès le jour de sa formation, et non à partir du moment où la ratification intervient. Cette rétroactivité permet de consolider la relation contractuelle en corrigeant l’irrégularité initiale sans remettre en cause la continuité de l’accord.

Toutefois, cette rétroactivité n’est pas absolue et peut être contestée dans certaines situations, notamment lorsque des tiers de bonne foi ont fondé leurs décisions sur l’irrégularité apparente de l’acte.

Par exemple, si un tiers contracte avec un représentant dépourvu de pouvoir et apprend ensuite que le représenté refuse de ratifier l’acte, il peut légitimement ajuster sa position (résiliation du contrat, engagement avec un autre partenaire, etc.). Si la ratification intervient trop tard, alors que le tiers a déjà pris des décisions en se basant sur l’irrégularité de l’acte, la question de la protection de sa confiance légitime peut se poser.

Dans une telle hypothèse, la doctrine s’interroge sur l’opposabilité de la ratification au tiers. Certains auteurs estiment qu’un équilibre doit être trouvé entre le principe de rétroactivité de la ratification et la protection des intérêts des tiers, notamment lorsqu’ils ont subi un préjudice en raison du retard de la régularisation.

==>L’irrévocabilité de la ratification

Une fois que le représenté a ratifié l’acte, cette décision est définitive et ne peut être remise en cause. Contrairement à une simple approbation provisoire, la ratification scelle irrévocablement la validation de l’acte irrégulier.

Cette irrévocabilité repose sur une logique de sécurité juridique : permettre au représenté de revenir sur une ratification créerait une incertitude inacceptable pour les parties contractantes. Ainsi, une fois que le représenté a explicitement ou implicitement accepté l’acte, il ne peut plus contester sa validité ni refuser d’en exécuter les obligations.

Toutefois, si la ratification a été obtenue sous l’effet d’un vice du consentement, tel que l’erreur, le dol ou la violence, elle pourra être remise en cause. Dans ce cas, le représenté pourrait invoquer l’annulation de la ratification en démontrant qu’il a été trompé ou contraint au moment où il a donné son accord.

B) La sanction du détournement de pouvoir

1. Détournement de pouvoir vs dépassement de pouvoir

L’article 1157 du Code civil établit une distinction entre le dépassement de pouvoir et le détournement de pouvoir, deux notions qu’il convient de ne pas confondre.

  • Le dépassement de pouvoir se produit lorsque le représentant agit au-delà des limites de son mandat ou des pouvoirs qui lui ont été conférés. Il outrepasse ses attributions, ce qui entraîne une inopposabilité de l’acte au représenté (art. 1156 C. civ.).
  • Le détournement de pouvoir, en revanche, survient lorsque le représentant reste formellement dans le cadre de ses pouvoirs, mais agit dans un intérêt personnel au détriment du représenté. Il utilise les pouvoirs qui lui sont confiés pour servir ses propres intérêts ou ceux d’un tiers, et non ceux du représenté.

Ainsi, le dépassement de pouvoir est une question de limites objectives, tandis que le détournement de pouvoir repose sur une appréciation subjective des intentions du représentant. Ce dernier peut, en apparence, respecter ses prérogatives, mais en réalité, il en abuse pour satisfaire des intérêts contraires à ceux du représenté.

Exemple :

Un dirigeant de société disposant du pouvoir de vendre un bien immobilier de l’entreprise décide de le céder à une société dont il est secrètement actionnaire, à un prix inférieur à sa valeur réelle. L’acte de vente reste dans les limites de son pouvoir, mais il est détourné de sa finalité légitime pour servir un intérêt personnel.

L’article 1157 du Code civil permet au représenté de demander l’annulation de l’acte, mais sous une condition essentielle : le tiers contractant doit avoir eu connaissance du détournement ou, à tout le moins, ne pouvait l’ignorer. Ce dispositif vise à protéger les tiers de bonne foi tout en permettant au représenté d’obtenir réparation en cas d’abus manifeste.

2. Les conditions de la nullité pour détournement de pouvoir

Pour qu’un acte entaché de détournement de pouvoir soit annulé, l’article 1157 du Code civil exige la réunion de deux conditions cumulatives. Il ne suffit pas d’établir l’intention frauduleuse du représentant : encore faut-il que le tiers contractant ait eu connaissance de cette manœuvre ou qu’il ne puisse légitimement l’ignorer.

==>Un acte accompli au détriment du représenté

La première condition tient à la nécessité de démontrer que l’acte accompli par le représentant a causé un préjudice réel au représenté.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Un acte conclu dans l’intérêt exclusif du représentant
    • Lorsque le représentant agit exclusivement pour son propre intérêt, le préjudice du représenté est en principe présumé.
    • L’intention frauduleuse est manifeste lorsque, par exemple, un dirigeant cède un actif de la société à une entreprise dont il est secrètement actionnaire ou conclut un contrat de prestation avec une société lui appartenant.
    • Dans ce cas, l’acte ne peut être justifié par une quelconque rationalité économique au bénéfice du représenté.
  • Un acte qui procure un avantage au représentant sans exclure celui du représenté
    • Si l’acte peut profiter aux deux parties, la preuve du détournement devient plus délicate.
    • Le seul fait que le représentant retire un avantage personnel ne suffit pas à établir l’existence d’un préjudice pour le représenté.
    • Il faudra prouver que :
      • L’acte aurait pu être conclu à des conditions plus favorables pour le représenté.
      • L’intérêt du représenté a été sacrifié au profit du représentant, soit en raison d’un prix anormalement bas, soit par l’existence d’une clause particulièrement déséquilibrée.
      • Le choix du cocontractant résulte d’un favoritisme injustifié et ne correspond pas à une gestion normale des affaires du représenté.

Exemple :

Un directeur général d’une société choisit comme fournisseur une entreprise dont il détient des parts, mais cette dernière propose des prix concurrentiels et des prestations de qualité identique aux autres acteurs du marché. L’intérêt personnel du dirigeant est évident, mais cela ne suffit pas à caractériser un détournement de pouvoir, faute de preuve d’un préjudice réel pour la société.

==>La connaissance du détournement par le tiers contractant

La nullité d’un acte pour détournement de pouvoir ne peut être demandée que si le tiers contractant avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.

L’objectif de cette exigence est d’assurer la sécurité des transactions, en évitant qu’un acte régulièrement conclu puisse être remis en cause par le simple fait que le représentant ait poursuivi un intérêt personnel.

La connaissance du détournement peut être établie de deux manières :

  • Une connaissance avérée
    • Le tiers a été directement informé du conflit d’intérêts par le représentant ou par d’autres éléments probants (correspondances, échanges internes, clauses contractuelles ambiguës, etc.).
  • Une connaissance présumée
    • Le tiers contractant ne peut se prévaloir de sa bonne foi si les circonstances étaient suffisamment évidentes pour qu’il ne puisse ignorer l’anormalité de la situation.
    • Cela peut être le cas lorsque :
      • L’acte a été conclu dans des conditions manifestement désavantageuses pour le représenté (prix dérisoire, absence de mise en concurrence, conditions contractuelles inhabituelles).
      • L’identité du cocontractant et son lien avec le représentant étaient connus.
      • Le tiers avait accès à des informations lui permettant d’identifier l’existence d’un détournement.

Exemple :

Si un investisseur acquiert un bien immobilier appartenant à une société, et que le prix de vente est manifestement sous-évalué par rapport aux prix du marché, il ne pourra prétendre ignorer que le représentant a agi en détournant ses pouvoirs.

En revanche, si le tiers prouve qu’il était de bonne foi et qu’il ignorait totalement l’existence d’un détournement de pouvoir, l’acte ne pourra pas être annulé. Dans ce cas, le représenté disposera uniquement d’un recours en responsabilité contre le représentant pour obtenir réparation de son préjudice.

Ainsi, la nullité de l’acte n’est pas automatique en cas de détournement de pouvoir : elle est conditionnée à la preuve de la mauvaise foi du tiers contractant.

3. Les sanctions du détournement de pouvoir

L’acte conclu par un représentant qui détourne ses pouvoirs ne reste pas sans conséquence. Deux types de sanctions sont envisageables : la nullité de l’acte et la mise en jeu de la responsabilité des parties impliquées.

a. L’annulation de l’acte irrégulier

Si les conditions posées par l’article 1157 du Code civil sont remplies, l’acte entaché de détournement de pouvoir peut être annulé. Cette nullité est relative, ce qui signifie qu’elle est réservée au seul représenté, qui pourra l’invoquer pour se libérer des obligations découlant de l’acte irrégulier.

L’annulation a pour effet d’anéantir rétroactivement l’acte, mais si celui-ci a déjà été exécuté (par exemple, si un bien a été vendu et livré), des restitutions seront nécessaires. Ces restitutions peuvent s’avérer complexes, en particulier si le bien a été cédé à un tiers de bonne foi.

b. La responsabilité du représentant

Le détournement de pouvoir constitue une faute, engageant la responsabilité du représentant à l’égard du représenté. Selon la nature du pouvoir exercé, cette responsabilité peut être de deux ordres :

  • Responsabilité contractuelle : lorsque le pouvoir du représentant découle d’un contrat (mandat, délégation de pouvoir, contrat de travail), le détournement constitue une violation des obligations contractuelles. Le représenté pourra alors demander réparation sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil.
  • Responsabilité délictuelle : lorsque le représentant tient ses pouvoirs de la loi ou des statuts d’une société, son détournement constitue une faute extra-contractuelle engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Dans tous les cas, le représenté pourra réclamer une indemnisation à hauteur du préjudice subi, qui peut inclure la perte financière directe, les dommages indirects, et parfois des dommages-intérêts complémentaires.

c. La responsabilité du tiers contractant

Lorsque le tiers contractant a participé activement au détournement de pouvoir, il peut également voir sa responsabilité engagée. Cette complicité peut être caractérisée si le tiers :

  • Était informé du détournement et a néanmoins conclu l’acte.
  • A collaboré avec le représentant dans le but de nuire au représenté.
  • A tiré un avantage indu de la situation en exploitant la fraude du représentant.

Dans ces cas, le tiers peut être condamné à indemniser le représenté du préjudice subi.

d. La sanction pénale du détournement de pouvoir

Dans certaines circonstances, le détournement de pouvoir peut constituer une infraction pénale. En particulier :

  • L’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal), qui sanctionne toute personne détournant des biens ou des droits qui lui ont été confiés.
  • L’abus de biens sociaux (articles L. 241-3 et L. 242-6 du Code de commerce), lorsque le dirigeant d’une société utilise les ressources de celle-ci à des fins personnelles.

Si le détournement de pouvoir présente une gravité suffisante, il peut donner lieu à des poursuites pénales et à des sanctions pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement et des amendes.

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