L’attribution préférentielle constitue une modalité essentielle du partage, permettant à certains coïndivisaires d’obtenir, sous conditions, l’allocation en pleine propriété d’un bien indivis moyennant indemnisation, le cas échéant, des autres indivisaires. Toutefois, si elle apparaît à première vue comme un simple aménagement du partage, son application n’est nullement automatique. La nature du bien, la qualité du demandeur et surtout l’origine de l’indivision déterminent le champ d’application de cette institution, qui se voit tantôt consacrée, tantôt restreinte par la jurisprudence. L’objet de la présente analyse est donc d’en cerner les contours, en examinant les conditions de sa mise en œuvre ainsi que les évolutions récentes en la matière.
A) Principe
1. Préexistence d’une indivision
L’attribution préférentielle ne saurait être sollicitée en dehors d’un état d’indivision. Elle suppose, en effet, que le bien en cause soit indivis et susceptible d’être partagé. En ce sens, elle ne peut être exercée lorsque la pleine propriété d’un bien se reconstitue naturellement sur la tête d’un indivisaire, notamment par l’extinction d’un usufruit (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1973, n°71-13.859).
De même, elle se distingue de la faculté de prélèvement prévue à l’article 1077-1 du Code civil, qui écarte toute indivision en permettant à un héritier de prélever certains biens avant leur mise en partage. Il s’agit là d’un mécanisme autonome visant à favoriser la conservation de certains biens au profit d’un héritier sans passer par les contraintes de l’indivision et du partage.
Toutefois, la question se pose de savoir si l’attribution préférentielle peut être invoquée dans toute indivision ou si elle se limite aux seuls cas expressément prévus par la loi.
Traditionnellement, la jurisprudence a limité le bénéfice de l’attribution préférentielle aux cas où elle est expressément prévue par la loi, à savoir :
- Les indivisions successorales (articles 831 et suivants du Code civil),
- Les indivisions post-communautaires, nées de la dissolution d’un régime matrimonial,
- Les indivisions résultant d’une séparation de biens entre époux ou partenaires pacsés.
Cette approche s’explique par le fait que l’attribution préférentielle constitue une dérogation au principe du partage égalitaire. Elle ne saurait donc être élargie au-delà des cadres définis par le législateur sans risquer de porter atteinte aux droits des autres indivisaires. La Cour de cassation, soucieuse de préserver la sécurité juridique, a ainsi longtemps enfermé son champ d’application dans ces hypothèses précises.
Néanmoins, ces dernières années, la jurisprudence semble avoir amorcé un mouvement d’assouplissement. Si le cadre législatif demeure inchangé, certaines décisions tendent à admettre que l’attribution préférentielle puisse être envisagée au-delà des seules hypothèses expressément prévues par le Code civil, dès lors que les circonstances particulières de l’indivision le justifient.
Ainsi, sans remettre en cause son fondement légal, les juges du fond ont parfois reconnu l’opportunité d’accorder une attribution préférentielle dans des situations où celle-ci permettrait de préserver une cohérence patrimoniale ou de maintenir l’affectation d’un bien à un usage spécifique. L’idée sous-jacente à cette évolution est de ne pas sacrifier des impératifs d’équilibre économique ou familial sur l’autel d’une lecture trop rigide du droit positif.
Cette ouverture progressive pose la question de l’avenir de l’attribution préférentielle. Si la tendance jurisprudentielle actuelle suggère une prise en compte plus pragmatique des situations d’indivision, il reste à savoir si cette évolution sera sanctionnée ou pérennisée par la Cour de cassation.
L’extension de l’attribution préférentielle à des indivisions hors du cadre légal strict pourrait trouver un fondement dans une volonté d’adaptation aux réalités patrimoniales modernes. Toutefois, cette souplesse nouvelle ne saurait se faire au détriment des autres indivisaires, ce qui incite la jurisprudence à maintenir un contrôle rigoureux sur les conditions de son octroi.
2. Les indivisions admises
L’application de l’attribution préférentielle ne dépend pas uniquement de l’existence d’un état d’indivision ; encore faut-il que cette indivision entre dans le champ des hypothèses admises par la loi et la jurisprudence. L’origine même de l’indivision constitue ainsi un critère déterminant, certaines d’entre elles ouvrant droit à cette faculté tandis que d’autres en sont exclues.
a. L’indivision successorale
L’indivision successorale constitue le cadre naturel de l’attribution préférentielle, institution dont la genèse remonte à la loi du 17 mars 1938, qui visait à préserver l’intégrité des exploitations agricoles en les soustrayant aux effets souvent destructeurs du partage successoral, qu’il prenne la forme du tirage au sort, du partage en nature ou de la licitation. Ce mécanisme, bien qu’ayant évolué au fil du temps, demeure profondément ancré dans le droit des successions et trouve aujourd’hui application dans toute indivision successorale, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions posées par les articles 831 à 834 du Code civil.
Si l’attribution préférentielle permet d’assurer la transmission cohérente et fonctionnelle des biens indivis, elle n’en demeure pas moins un droit subsidiaire : elle ne s’impose jamais à la volonté du défunt, qui peut en restreindre l’exercice ou l’écarter totalement par disposition expresse.
Ainsi, le de cujus est-il libre, de son vivant, de régler la destination posthume de ses biens et prévoir un partage spécifique qui ne laisse place à aucune attribution préférentielle. L’exclusion peut résulter notamment :
- D’un testament prescrivant un partage en nature, privant ainsi les héritiers de la faculté de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1959) ;
- D’un legs particulier ou universel, qui soustrait le bien concerné au champ du partage successoral (Cass. req., 28 juill. 1947) ;
- D’une donation-partage, par laquelle le défunt attribue ses biens de son vivant, ce qui leur fait perdre leur qualité de biens indivis (Cass. 1ère civ., 8 juill. 1958) ;
- D’une stipulation contenue dans un contrat de mariage, permettant au conjoint survivant d’acquérir ou de conserver certains biens en cas de décès (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1967).
Dans ces différentes hypothèses, le bien sort du périmètre de l’indivision successorale, et le jeu des articles 831 et suivants du Code civil est mécaniquement écarté.
Toutefois, l’exclusion de l’attribution préférentielle ne se produit pas dans tous les cas où le défunt a disposé de son bien. Une distinction s’impose entre la transmission privative et la transmission indivise.
Lorsque le défunt a conféré un droit privatif sur un bien à l’un de ses héritiers (ex. : legs particulier sur un immeuble), le bien est exclu de l’indivision et l’attribution préférentielle devient impossible (Cass. 1ère civ., 10 juill. 1968)
À l’inverse, lorsque le défunt a attribué des droits indivis par le biais d’un legs universel ou à titre universel, l’indivision est maintenue, ce qui laisse subsister le droit à l’attribution préférentielle pour l’un des co-indivisaires (Cass. 1ère civ., 30 oct. 1962).
La jurisprudence a ainsi précisé que les dispositions universelles ne privent pas les héritiers de leur faculté de demander l’attribution préférentielle, sauf si elles aboutissent à un démembrement intégral du patrimoine.
L’articulation entre les droits successoraux et la liberté du de cujus a connu d’importantes mutations, notamment sous l’effet de la loi du 23 juin 2006 qui a réformé le droit des successions.
Désormais, toutes les dispositions à titre gratuit, qu’elles soient entre vifs ou à cause de mort, sont réductibles en valeur (art. 924 C. civ.), ce qui signifie qu’un bien transmis ne revient pas dans la masse à partager, mais fait simplement l’objet d’une compensation financière. Cette règle confère au de cujus une importante liberté quant à organiser une répartition successorale excluant de facto l’attribution préférentielle.
Toutefois, la jurisprudence a admis qu’une exclusion directe de l’attribution préférentielle par une clause testamentaire ne serait pas systématiquement valide si elle se heurte à des principes fondamentaux du droit successoral, tels que les droits des héritiers réservataires (Cass. 1ère civ., 5 nov. 1996, n°94-15.886).
Les développements jurisprudentiels récents tendent vers un équilibre entre deux logiques :
- D’un côté, le respect de la volonté du défunt, qui peut organiser la transmission de son patrimoine et limiter l’application de l’attribution préférentielle ;
- De l’autre, la nécessité de préserver certains équilibres successoraux, notamment lorsque l’indivision concerne des biens à forte valeur d’usage familial ou professionnel.
En définitive, la faculté d’exclure l’attribution préférentielle s’inscrit dans une approche pragmatique du partage successoral : elle est admise tant qu’elle repose sur une disposition claire et non équivoque, mais ne saurait être opposée aux héritiers réservataires lorsque ceux-ci en demandent le bénéfice pour assurer la pérennité d’un bien familial.
b. L’indivision post-communautaire
L’attribution préférentielle trouve également à s’exercer dans le cadre de l’indivision post-communautaire, c’est-à-dire celle qui survient après la dissolution du régime matrimonial. Toutefois, son application varie selon la cause de dissolution de la communauté conjugale.
- En cas de dissolution par décès, l’attribution préférentielle est un droit pleinement reconnu, permettant au conjoint survivant de se voir attribuer certains biens communs. Cette faculté favorise la stabilité du cadre de vie du survivant et facilite la transition successorale.
- En cas de dissolution par divorce ou séparation de corps, l’attribution préférentielle n’est plus un droit automatique, mais une simple faculté laissée à l’appréciation souveraine du juge. En pratique, les tribunaux ont tendance à privilégier le conjoint ayant la garde des enfants, notamment lorsqu’il sollicite l’attribution du logement familial.
==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de décès
Lorsque la communauté conjugale est dissoute par le décès de l’un des époux, la question du partage des biens communs se pose inévitablement. Dans ce contexte, l’attribution préférentielle constitue un mécanisme de protection essentiel pour le conjoint survivant, lui permettant de conserver certains biens ayant une importance patrimoniale et affective particulière.
L’article 1476 du Code civil prévoit expressément que les règles gouvernant le partage des successions s’appliquent au partage de la communauté conjugale, consacrant ainsi une assimilation entre l’indivision successorale et l’indivision post-communautaire. Cette disposition permet au conjoint survivant de prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens communs, au même titre qu’un héritier indivisaire peut solliciter l’attribution préférentielle d’un bien relevant de la masse successorale.
Parmi les biens susceptibles d’être attribués préférentiellement, le logement familial occupe une place centrale. Il ne s’agit pas seulement d’un actif patrimonial, mais bien d’un élément structurant du cadre de vie du conjoint survivant, souvent empreint d’une forte dimension symbolique et affective.
Dès le milieu du XXe siècle, la jurisprudence a admis de manière constante que le conjoint survivant pouvait se voir attribuer la résidence principale du couple, facilitant ainsi son maintien dans un environnement familier et préservant son équilibre matériel et psychologique (Cass. 1ère civ.., 2 janv. 1952).
Cette solution se justifie à plusieurs titres :
- Elle protège le conjoint survivant d’une mise en indivision prolongée avec d’autres héritiers, évitant ainsi d’éventuels conflits successoraux.
- Elle préserve son droit au logement, particulièrement crucial lorsque le conjoint survivant est âgé ou dispose de revenus limités, ne lui permettant pas de se reloger aisément.
- Elle favorise la stabilité familiale, notamment lorsque des enfants sont encore à charge, en évitant un bouleversement brutal des conditions de vie.
En pratique, les juridictions accordent une attention particulière à la situation du conjoint survivant et font généralement droit à la demande d’attribution préférentielle lorsque celui-ci résidait dans le logement familial avant le décès et que la conservation du bien présente un intérêt manifeste.
Si le logement familial constitue le bien le plus fréquemment concerné par l’attribution préférentielle, d’autres biens communs peuvent également en faire l’objet, sous réserve qu’ils remplissent des critères de nécessité et d’usage personnel pour le conjoint survivant.
Ainsi, la jurisprudence a progressivement admis que l’attribution préférentielle pouvait également porter sur :
- Le mobilier meublant le logement familial, garantissant au conjoint survivant la jouissance effective du bien attribué sans avoir à racheter séparément les éléments qui le composent.
- Les exploitations agricoles ou les fonds artisanaux lorsqu’ils constituaient l’activité principale du conjoint survivant, évitant ainsi une désorganisation brutale de son outil de travail.
- Certains véhicules, notamment lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle ou au maintien de l’autonomie du conjoint survivant.
Dans chaque cas, les juges apprécient souverainement l’opportunité de l’attribution, en tenant compte de l’intérêt du conjoint survivant, mais également des droits des autres héritiers, notamment en matière de répartition de l’actif successoral.
Si l’attribution préférentielle offre au conjoint survivant un levier de protection efficace, elle n’a toutefois rien d’automatique. Le de cujus conserve la faculté d’écarter cette possibilité, en disposant de ses biens par donation, legs ou stipulation testamentaire.
Ainsi, plusieurs hypothèses peuvent priver le conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle :
- Le défunt peut avoir expressément prévu une répartition différente de son patrimoine, notamment en léguant le logement familial à un autre héritier.
- Une clause testamentaire peut imposer un partage en nature, excluant de facto toute possibilité d’attribution préférentielle.
- La donation-partage consentie du vivant du défunt peut avoir sorti le bien convoité de la masse partageable, rendant impossible son attribution au conjoint survivant.
Toutefois, même dans ces situations, la réduction des libéralités excessives prévue par l’article 924 du Code civil peut permettre de réintégrer certains biens dans la masse successorale et de préserver, dans une certaine mesure, les droits du conjoint survivant.
==>L’application de l’attribution préférentielle en cas de divorce ou de séparation de corps
Lorsque la communauté conjugale est dissoute du vivant des époux, que ce soit par divorce ou par séparation de corps, la question du sort des biens communs se pose avec acuité. Si l’attribution préférentielle s’est imposée sans difficulté dans le cadre du partage successoral, son application aux partages consécutifs à la dissolution du mariage a suscité, en revanche, de vives hésitations doctrinales et jurisprudentielles avant d’être pleinement consacrée par la loi.
À l’origine, la doctrine et la jurisprudence se montraient réticentes à admettre que l’attribution préférentielle puisse trouver à s’exercer dans les partages de communauté dissoute du vivant des époux. Cette hésitation procédait d’une double interrogation :
- L’attribution préférentielle n’a-t-elle pas été conçue comme un mécanisme propre au droit des successions, justifiant sa limitation au seul cadre des indivisions successorales ?
- Peut-on raisonnablement transposer ce mécanisme à la dissolution du mariage, alors même que le principe du partage égalitaire des biens communs prévaut dans cette hypothèse ?
Un premier revirement jurisprudentiel est intervenu avec un arrêt du 2 novembre 1954, où la Cour de cassation a affirmé que les règles de l’attribution préférentielle s’appliquaient à tout partage de communauté, quelle que soit la cause de sa dissolution (Cass. 1ère civ. 2 nov. 1954). Cette solution a été accueillie favorablement et a trouvé une consécration législative quelques années plus tard.
Ainsi, la loi du 19 décembre 1961 a esquissé une reconnaissance légale de l’attribution préférentielle dans le cadre des partages post-communautaires. Puis, la loi du 13 juillet 1965, réformant les régimes matrimoniaux, a levé toute ambiguïté en insérant dans l’article 1476 du Code civil une référence générale aux règles successorales en matière d’attribution préférentielle. Dès lors, le principe était acquis : l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation de corps, sous réserve du respect des conditions légales.
Si l’attribution préférentielle est désormais admise en principe dans le cadre des partages post-communautaires, elle ne revêt cependant aucun caractère automatique. L’alinéa 2 de l’article 1476 du Code civil précise expressément que « l’attribution préférentielle n’est jamais de droit » en cas de divorce, séparation de corps ou séparation de biens, et que le juge peut toujours décider que la totalité de la soulte sera payable comptant.
Cette rédaction confère aux juridictions un pouvoir souverain d’appréciation, leur permettant d’examiner au cas par cas l’opportunité d’une attribution préférentielle. Ainsi, contrairement à l’hypothèse du décès où l’attribution préférentielle du logement familial au conjoint survivant est souvent favorisée, le juge du divorce ou de la séparation de corps dispose d’une latitude bien plus large pour accorder ou refuser cette mesure.
En pratique, les décisions des tribunaux ont progressivement dessiné les contours d’une politique judiciaire plus favorable à certaines catégories de justiciables, notamment lorsque l’attribution préférentielle concernait le logement familial.
L’un des critères essentiels retenus par les juges dans l’octroi de l’attribution préférentielle réside dans la présence d’enfants au foyer.
Dès les premières décisions de jurisprudence, une tendance s’est dégagée en faveur du conjoint ayant la garde des enfants, particulièrement lorsqu’il sollicite l’attribution du domicile conjugal.
Ainsi, un arrêt du 5 juin 1991 a rappelé avec force que l’attribution préférentielle dans le cadre d’un divorce relevait exclusivement de l’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ., 5 juin 1991, n°90-14.109). Cette solution a été confirmée par de nombreuses juridictions, qui ont systématiquement privilégié le conjoint divorcé non fautif, et plus encore celui qui avait la charge des enfants, en lui accordant l’attribution du logement familial (CA Paris, 4 févr. 1965).
Cette orientation protectrice repose sur une double considération :
- Le maintien d’un cadre de vie stable pour les enfants, afin de limiter les effets déstabilisants de la séparation parentale.
- L’impératif social de préservation du logement familial, qui constitue bien souvent le seul bien de valeur pour le conjoint économiquement le plus vulnérable.
Ainsi, bien que l’attribution préférentielle ne soit jamais de droit, les juges l’accordent fréquemment en présence d’enfants mineurs et que la conservation du logement familial apparaît comme un facteur de stabilité essentiel.
==>Cas particulier du droit au bail du logement conjugal
L’attribution préférentielle, telle que consacrée par l’article 831 et suivants du Code civil, vise principalement la transmission en pleine propriété d’un bien indivis. Toutefois, une hypothèse singulière se présente lorsque la demande d’attribution ne porte pas sur la propriété du logement conjugal, mais sur le droit au bail y afférent.
Dans ce cas, un régime spécifique s’applique, régi non plus par les règles de l’indivision successorale ou post-communautaire, mais par l’article 1751 du Code civil. Ce texte consacre un principe de portée générale : le droit au bail portant sur le logement conjugal est réputé appartenir aux deux époux, quel que soit leur régime matrimonial.
Contrairement à la propriété d’un bien immobilier, dont l’attribution repose sur l’origine du financement et les modalités d’acquisition, le droit au bail du logement conjugal obéit à un régime spécifique qui fait abstraction de ces considérations. Peu importe lequel des époux a signé le contrat de location ou assumé le paiement des loyers : dès lors qu’il s’agit du logement familial, la loi présume que le bail appartient conjointement aux deux conjoints.
Ce mécanisme vise à garantir l’égalité des époux dans la jouissance du domicile conjugal, en empêchant que l’un d’eux puisse évincer l’autre en invoquant une titularité exclusive du bail. Il confère donc une protection essentielle, notamment pour le conjoint économiquement dépendant ou pour celui qui n’aurait pas de titre de location à son nom.
Lorsque le couple se sépare, la question du sort du droit au bail se pose avec acuité. Le maintien dans les lieux de l’un des conjoints suppose une réattribution du bail, laquelle doit prendre en considération des critères sociaux et familiaux.
L’article 1751, alinéa 2 du Code civil prévoit ainsi une procédure spécifique permettant au juge de statuer sur l’attribution du droit au bail à l’un des époux. Cette décision repose sur une appréciation souveraine des intérêts en présence, en tenant compte des circonstances particulières du divorce ou de la séparation de corps.
Le juge devra notamment considérer :
- La situation familiale, notamment la présence d’enfants, qui constitue un critère déterminant pour privilégier le maintien du conjoint ayant leur garde dans le logement.
- Les considérations sociales et économiques, en favorisant l’époux dont la situation financière ne permettrait pas de retrouver aisément un autre logement.
- Les circonstances de la séparation, en veillant à éviter une attribution abusive qui désavantagerait injustement l’un des conjoints.
Cette approche pragmatique permet d’assurer une transition équitable entre la vie conjugale et la séparation, en préservant autant que possible la stabilité du cadre de vie familial.
Si le droit au bail du logement conjugal peut faire l’objet d’une attribution judiciaire, il ne relève pas du régime général de l’attribution préférentielle prévu par l’article 831-2, 1° du Code civil.
Les principales différences entre les deux dispositifs sont les suivantes :
Critères | Attribution préférentielle classique (art. 831-2, 1° C. civ.) | Attribution judiciaire du droit au bail (art. 1751, al. 2 C. civ.) |
Objet de l’attribution | Transmission en pleine propriété d’un bien immobilier indivis | Transfert de la titularité du bail sans acquisition de la propriété |
Cadre juridique | Partage successoral ou post-communautaire | Divorce ou séparation de corps |
Droit applicable | Articles 831 et suivants du Code civil | Article 1751 du Code civil |
Critères d’attribution | Priorité aux héritiers ou époux remplissant les conditions légales | Appréciation souveraine du juge en fonction des intérêts familiaux et sociaux |
Effet juridique | Le bénéficiaire devient propriétaire du bien | Le bénéficiaire devient seul titulaire du bail mais n’acquiert pas la propriété |
Bien que l’attribution du droit au bail présente des similarités avec l’attribution préférentielle, ses effets sont plus limités, dans la mesure où :
- Elle ne confère aucun droit de propriété sur le logement, mais seulement le droit d’en être le locataire exclusif.
- Elle est soumise aux termes du contrat de bail, ce qui implique que le bénéficiaire doit respecter les obligations locatives et ne bénéficie d’aucune garantie de renouvellement automatique.
- Elle ne peut être invoquée à titre absolu, le juge pouvant refuser l’attribution s’il estime qu’elle ne se justifie pas au regard des circonstances du divorce.
==>La prise d’effet de l’attribution préférentielle dans le cadre de l’indivision post-communautaire
La question du moment auquel doivent être réunies les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle dans le cadre d’une indivision post-communautaire a longtemps suscité des incertitudes, notamment en cas de divorce ou de séparation de corps. Si la jurisprudence avait, dans un premier temps, posé le principe d’une prise d’effet rétroactive à la date de la demande en divorce, la réforme de 2019 est venue clarifier et aménager ce régime.
Jusqu’à la réforme du 23 juin 2006, le principe de rétroactivité de la dissolution du régime matrimonial était consacré par l’ancien article 262 du Code civil, qui disposait que les effets du divorce sur le régime matrimonial remontaient au jour de la demande en divorce (ou de la demande en séparation de corps).
Cette disposition avait une conséquence directe sur l’attribution préférentielle :
- Le moment déterminant pour apprécier si les conditions de l’attribution préférentielle étaient réunies était fixé à la date de la demande en divorce.
- Ainsi, un époux souhaitant obtenir l’attribution d’un bien commun devait démontrer qu’il remplissait les critères dès le dépôt de la requête en divorce, et non au moment du prononcé du divorce définitif.
- La jurisprudence en a déduit que l’indivision post-communautaire naissait rétroactivement à cette date, figeant ainsi la composition du patrimoine commun et les droits des parties (Cass. 1ère civ., 21 mai 1969).
Toutefois, ce système présentait des inconvénients majeurs. Il figeait artificiellement la situation patrimoniale des époux à une date parfois très antérieure au jugement de divorce, ce qui pouvait être source d’injustices, notamment en cas de longue procédure ou d’évolution significative de la situation des époux entre-temps.
La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial en introduisant une nouvelle règle dans l’article 262-1 du Code civil. Désormais, le divorce prenait effet à la date de l’ordonnance de non-conciliation (ONC), et non plus à la date de la demande en divorce.
Cette réforme a marqué une rupture importante avec le régime antérieur :
- L’indivision post-communautaire ne prenait naissance qu’à compter de l’ordonnance de non-conciliation, soit un stade avancé de la procédure où le juge statuait sur des mesures provisoires.
- Dès lors, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies à la date de l’ONC, et non plus à la date de la demande en divorce.
- Cette solution se justifiait par le fait que l’ONC marquait le premier contrôle judiciaire de la séparation des époux, rendant plus cohérent le choix de cette date pour fonder les droits des parties sur les biens communs.
Néanmoins, cette réforme n’a pas totalement figé la prise d’effet du divorce sur le régime matrimonial. L’article 262-1 du Code civil instaurait une exception permettant aux époux de solliciter du juge la fixation d’une date distincte, en considération des circonstances propres à leur situation. Cette faculté, largement mobilisée dans les divorces contentieux, offrait une souplesse bienvenue, notamment lorsque l’un des conjoints parvenait à démontrer qu’un décalage de la date de dissolution du régime matrimonial garantirait une répartition plus équitable du patrimoine commun.
La réforme du divorce du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, a de nouveau modifié le régime applicable à la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. Elle a supprimé l’ordonnance de non-conciliation et a rétabli le principe selon lequel la dissolution du régime matrimonial intervient à la date de la demande en divorce (assignation ou requête conjointe).
L’article 262-1 du Code civil, dans sa version actuelle, prévoit que la dissolution du régime matrimonial prend effet à la date de l’assignation en divorce, sauf disposition contraire adoptée par les époux ou décision du juge.
L’indivision post-communautaire est donc figée à cette date, et les conditions de l’attribution préférentielle doivent être remplies à ce moment-là.
Toutefois, les époux conservent la possibilité de convenir d’une date différente, en vertu de l’article 265-2 du Code civil.
Le juge peut également fixer une autre date si des circonstances exceptionnelles le justifient, notamment en cas de rupture de la vie commune bien avant l’introduction de la procédure.
Cette réforme vise à simplifier et sécuriser la prise d’effet du divorce sur les biens des époux. En supprimant l’ONC et en rétablissant un critère fixe pour l’indivision post-communautaire, elle permet d’éviter les incertitudes qui existaient auparavant et de donner une plus grande prévisibilité aux époux souhaitant organiser le partage de leurs biens.
L’évolution du régime encadrant la prise d’effet du divorce a profondément influencé les conditions d’exercice de l’attribution préférentielle, témoignant d’une oscillation entre rigidité et souplesse au fil des réformes :
- Avant 2006, les conditions d’attribution préférentielle devaient être réunies dès la date de la demande en divorce. Cette approche, bien que simple dans son application, s’avérait souvent inadaptée aux fluctuations de la situation patrimoniale des époux au cours de la procédure.
- Entre 2006 et 2019, l’instauration d’un critère fondé sur l’ordonnance de non-conciliation a permis de reporter l’appréciation des conditions d’attribution préférentielle à un stade plus avancé de la procédure. Ce mécanisme offrait ainsi une certaine souplesse, en tenant compte de l’évolution de la situation patrimoniale des époux après l’introduction de la demande en divorce. Toutefois, cette approche s’accompagnait d’un inconvénient majeur : l’incertitude résultant des délais parfois longs séparant la requête initiale de cette ordonnance, rendant la prévisibilité des droits patrimoniaux plus complexe.
- Depuis 2019, la réforme a marqué un retour à une date unique, celle de la demande en divorce. Cette solution, plus lisible, garantit une meilleure prévisibilité aux parties. Toutefois, elle n’exclut pas toute modulation, les époux conservant la faculté de convenir d’une date différente par convention, ou de solliciter du juge une adaptation en fonction des circonstances particulières du litige.
Dans ce contexte, la question de l’attribution préférentielle doit être envisagée dès l’engagement de la procédure de divorce. L’époux demandeur doit s’assurer qu’il satisfait aux conditions légales dès l’assignation, faute de quoi sa demande risque d’être rejetée, en raison de l’absence de fondement juridique à la date de référence retenue pour l’ouverture de l’indivision post-communautaire.
c. L’indivision post-sociétaire
L’attribution préférentielle, bien ancrée dans le droit des successions et des régimes matrimoniaux, trouve également à jouer dans le cadre du partage des sociétés dissoutes. Toutefois, son application soulève des interrogations en raison de la nature particulière de l’indivision post-sociétaire. Dès lors que l’actif social subsiste après extinction du passif, les associés deviennent indivisaires sur ces biens et peuvent prétendre à leur attribution sous certaines conditions.
i. Reconnaissance
Avant son encadrement législatif, l’attribution préférentielle appliquée aux sociétés en liquidation suscitait de vives incertitudes. En effet, si l’ancien article 1872 du Code civil prévoyait que les règles du partage successoral s’appliquaient aux sociétés en liquidation, il demeurait silencieux quant à la possibilité d’étendre l’attribution préférentielle aux parts sociales ou aux actions. Or, ce mécanisme, conçu à l’origine pour préserver l’unité économique des exploitations agricoles et des entreprises individuelles, se heurtait à la spécificité des sociétés, entités juridiquement distinctes de leurs associés.
Dans cette incertitude, la Cour de cassation a progressivement admis la possibilité de transposer l’attribution préférentielle aux sociétés en liquidation. Un arrêt du 4 novembre 1983 en fournit une illustration: elle y reconnaît qu’un associé peut prétendre à l’attribution préférentielle des droits sociaux dans le cadre du partage d’une société constituée entre concubins. La Haute juridiction considère alors que l’expression « conjoint survivant ou tout héritier », utilisée dans l’ancien article 832 du Code civil, pouvait être interprétée de manière extensive afin d’inclure les associés partageant un intérêt patrimonial commun (Cass. 1ère civ., 4 nov. 1983, n°82-12.450). Cette lecture audacieuse visait à éviter le morcellement des parts sociales et à préserver la continuité de l’exploitation économique, mais elle restait fragile, faute de fondement textuel explicite.
L’intervention du législateur a finalement permis de dissiper ces incertitudes. La loi du 4 janvier 1978 a consacré à l’article 1844-9 du Code civil un principe général de transposition des règles successorales aux partages entre associés, en affirmant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés ». Cette reconnaissance législative a mis un terme aux hésitations doctrinales et jurisprudentielles en érigeant l’attribution préférentielle en droit commun du partage de l’indivision post-sociétaire.
Ce dispositif a été consolidé par la loi du 20 juillet 1982, qui a expressément étendu l’attribution préférentielle aux droits sociaux des exploitations agricoles et des entreprises à caractère familial. Cette évolution traduit la volonté du législateur d’assurer la continuité des structures économiques, en permettant à un associé d’hériter des droits sociaux nécessaires à la poursuite de l’activité.
Désormais, un associé peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage de l’actif subsistant d’une société, sous réserve des aménagements éventuellement prévus dans les statuts ou dans un pacte d’associés. Toutefois, si cette faculté constitue une avancée majeure en matière de transmission d’entreprise, elle demeure encadrée par le droit des sociétés, notamment par les clauses d’agrément ou de continuation qui peuvent restreindre sa mise en œuvre.
ii. Domaine d’application
L’attribution préférentielle peut s’exercer dans deux hypothèses bien distinctes : avant la dissolution de la société, lorsqu’il s’agit d’obtenir les droits sociaux d’un associé décédé ou sortant, et après sa dissolution, lorsque le partage de l’actif social subsistant est engagé.
==>L’attribution préférentielle avant la dissolution de la société
Tant que la société est en activité, le mécanisme d’attribution préférentielle peut s’appliquer aux parts ou actions détenues par un associé défunt ou sortant. Depuis la loi du 23 juin 2006, l’article 832 du Code civil utilise le terme « droits sociaux » au lieu de « parts sociales », afin d’inclure toutes les formes de sociétés, qu’elles soient commerciales, artisanales, agricoles ou libérales.
Ce mécanisme permet d’éviter l’entrée d’un tiers dans la société ou la vente de participations à des personnes extérieures. Il constitue une modalité privilégiée de maintien de l’unité économique de l’entreprise en assurant sa transmission entre associés légitimes.
==>L’attribution préférentielle après la dissolution de la société
Une fois la société dissoute, l’attribution préférentielle peut porter sur les biens en nature figurant dans l’actif subsistant. En application de l’article 1844-9 du Code civil, cette possibilité est néanmoins subordonnée à trois conditions:
- L’extinction du passif social : le partage ne peut intervenir qu’après désintéressement des créanciers sociaux.
- Le maintien en nature du bien convoité : l’attribution préférentielle ne peut jouer que sur des biens qui se retrouvent dans la masse à partager.
- L’absence de clause contraire : les statuts ou une décision des associés peuvent aménager la répartition de l’actif et restreindre l’application du droit commun.
À noter que l’article 1844-9 du Code civil prévoit un ordre de priorité : l’associé qui retrouve son apport en nature bénéficie d’un droit d’attribution avant toute autre demande d’attribution préférentielle. Cette faculté, qui s’exerce moyennant le paiement d’une éventuelle soulte, prime sur les autres demandes émanant des coassociés.
iii. Conditions
Si la loi reconnaît désormais le principe de l’attribution préférentielle post-sociétaire, la jurisprudence demeure prudente quant aux conditions exigées du demandeur.
Deux courants s’opposent:
- Une interprétation restrictive voudrait que seules les personnes remplissant les conditions posées par l’article 831 du Code civil puissent se prévaloir de ce droit, c’est-à-dire les héritiers ou le conjoint survivant d’un associé défunt. Cette lecture limiterait considérablement la portée de l’article 1844-9 et exclurait toute application en dehors des hypothèses successorales.
- Une interprétation extensive, plus conforme à l’esprit du texte, considère que l’attribution préférentielle est un simple mécanisme de partage et non un droit exclusivement successoral. Elle repose sur la seule qualité de copropriétaire de l’actif social, et non sur la vocation successorale du demandeur. En ce sens, un associé souhaitant obtenir l’attribution préférentielle d’un bien figurant dans l’actif social indivis pourrait le solliciter, qu’il soit héritier ou non.
La jurisprudence récente semble s’orienter vers cette seconde approche. Dans un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation a appliqué l’article 1844-9 à une indivision issue de la liquidation d’une société entre concubins, admettant ainsi que la seule qualité d’associé permettait de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien appartenant à l’actif social indivis (Cass. 1ère civ., 30 mai 2006, n°04-14.749).
Cette évolution s’inscrit dans une logique pragmatique : dès lors qu’un bien demeure en indivision après la dissolution d’une société, il doit pouvoir être attribué à l’un des indivisaires qui justifie d’un intérêt légitime à le conserver. L’article 1844-9 du Code civil prend ainsi toute sa mesure en garantissant la pérennité des entreprises dissoutes et en favorisant la transmission des biens professionnels ou agricoles.
d. L’indivision conventionnelle
L’indivision conventionnelle occupe une place singulière dans le régime de l’attribution préférentielle. À la différence des indivisions successorales ou post-communautaires, qui résultent d’un fait juridique échappant à la volonté des parties, elle procède d’un accord entre les indivisaires, rendant ainsi plus incertaine l’application de ce mécanisme dérogatoire au principe du partage égalitaire.
Traditionnellement, la jurisprudence a adopté une lecture restrictive, refusant de reconnaître l’attribution préférentielle dans les indivisions résultant d’un acte de volonté des parties. Cette position trouve son fondement dans l’idée que les indivisaires, en choisissant de se placer sous un régime d’indivision conventionnelle, disposent d’une pleine liberté pour organiser la sortie d’indivision. Il leur appartient, dès la conclusion de l’acte, de prévoir les conditions de répartition des biens en cas de partage. Ainsi, lorsqu’un bien est acquis conjointement par des indivisaires qui n’ont pas de lien successoral ou matrimonial, la faculté d’attribution préférentielle ne saurait être imposée à l’un d’eux au détriment des autres (Cass. 1ère civ., 13 janv. 1969).
Cette rigueur jurisprudentielle se justifiait par la nécessité de préserver le principe d’égalité entre les coïndivisaires et d’éviter qu’un indivisaire ne puisse s’imposer unilatéralement aux autres. L’argument tiré de l’origine volontaire de l’indivision justifiait alors l’exclusion de l’attribution préférentielle, qu’il s’agisse d’un achat en indivision, d’une donation conjointe ou encore d’un partage amiable laissant subsister une indivision.
Toutefois, cette position a progressivement évolué, notamment lorsqu’il s’agit d’indivisions présentant une dimension familiale. La Cour de cassation a amorcé une inflexion en admettant que certaines indivisions conventionnelles puissent relever du champ de l’attribution préférentielle dès lors qu’elles conservent un lien étroit avec une indivision successorale ou matrimoniale.
Dans un arrêt du 7 juin 1988, elle a ainsi reconnu qu’un bien acquis indivisément par des concubins avant leur mariage pouvait faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit de l’un des ex-époux lors du divorce, à la condition que ce bien ait constitué le domicile conjugal et que le mariage ait été conclu sous le régime de la communauté légale (Cass. 1ère civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
En l’espèce, les anciens époux avaient acquis en indivision un appartement avant leur union, chacun pour moitié. Après leur mariage sous le régime de la communauté légale, ce bien avait été affecté à leur domicile conjugal. Lors de la liquidation de la communauté, à la suite du divorce, l’ex-épouse, qui y résidait toujours, sollicitait l’attribution préférentielle du bien indivis. La cour d’appel rejeta cette demande, au motif que l’acquisition était intervenue avant le mariage et que les parties ne s’étaient pas mariées sous le régime de la séparation de biens.
Censurant cette décision, la Cour de cassation rappela que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le cadre du partage des indivisions de nature familiale, y compris lorsque l’indivision avait une origine conventionnelle antérieure au mariage. Elle consacra ainsi une approche fonctionnelle, tenant compte de la vocation familiale du bien au moment du partage et non de sa seule origine juridique.
Cette décision marque une évolution jurisprudentielle en faveur d’une conception élargie de l’attribution préférentielle, qui ne se limite plus aux seules indivisions successorales ou post-communautaires, mais peut également s’étendre à certaines indivisions conventionnelles, dès lors que leur finalité s’apparente à celle des autres catégories d’indivision bénéficiant de ce mécanisme.
Un autre arrêt, rendu par le Première chambre civile le 21 septembre 2016, est venu confirmer cette évolution (Cass. 1ère civ., 21 sept. 2016, n°15-24.683). En l’espèce, à la suite du décès de leurs parents, plusieurs héritiers avaient procédé à un partage amiable de la succession, dans le cadre duquel certains biens immobiliers avaient été attribués en indivision à deux d’entre eux. Quelques années plus tard, l’un des coïndivisaires sollicita le partage de ces parcelles agricoles et demanda, à cette occasion, leur attribution préférentielle. Son coïndivisaire s’y opposa, soutenant que l’indivision ne relevait pas des règles successorales stricto sensu, mais d’un accord contractuel issu de leur partage amiable.
La Cour de cassation rejeta cet argument et confirma la décision des juges du fond ayant fait droit à la demande d’attribution préférentielle. Elle affirma que l’attribution préférentielle pouvait être demandée dans le partage des indivisions de nature familiale, même lorsqu’elles trouvaient leur origine dans un pacte conventionnel. Ce faisant, elle consacra une analyse pragmatique de la notion d’indivision successorale, en retenant que la qualification d’indivision familiale ne dépendait pas uniquement de son mode de constitution, mais aussi de sa finalité et de son rattachement à une transmission patrimoniale entre héritiers.
Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une tendance jurisprudentielle visant à ne plus exclure systématiquement du champ de l’attribution préférentielle les indivisions conventionnelles, dès lors qu’elles conservent une vocation successorale. Il illustre ainsi la volonté des juges d’adapter le droit du partage aux réalités patrimoniales contemporaines, en prenant en compte la continuité des liens familiaux dans la gestion des biens indivis.
Malgré ces évolutions, la jurisprudence continue d’opérer une distinction nette entre les indivisions présentant une dimension familiale et les indivisions purement contractuelles.
D’un côté, les indivisions successorales et celles qui trouvent leur origine dans un cadre familial bénéficient d’un assouplissement progressif, qui traduit une volonté de préserver la stabilité patrimoniale et la continuité des biens au sein du cercle familial. Cet élargissement jurisprudentiel permet d’éviter une licitation systématique des biens et favorise le maintien de certaines unités économiques ou familiales essentielles.
D’un autre côté, les indivisions strictement contractuelles demeurent exclues du champ de l’attribution préférentielle, la jurisprudence considérant que l’autonomie des parties doit être préservée. Ainsi, un bien acquis en indivision par deux associés commerciaux ou par des concubins sans lien successoral ou matrimonial demeure soumis au principe de partage égalitaire, sans possibilité pour l’un des indivisaires d’imposer une attribution préférentielle à l’autre.
L’orientation actuelle du droit semble donc marquée par un équilibre entre, d’une part, la reconnaissance d’une protection accrue pour les indivisions à vocation familiale et, d’autre part, la préservation de l’autonomie contractuelle dans les indivisions purement volontaires.
Si la tendance jurisprudentielle actuelle tend à élargir le champ d’application de l’attribution préférentielle, elle demeure soumise à des limites strictes. Toute évolution future supposerait une intervention législative pour clarifier les conditions d’application de ce mécanisme aux indivisions conventionnelles.
En l’état, la Cour de cassation a exclu toute application automatique de l’attribution préférentielle aux indivisions nées d’une convention, sauf si elles présentent un lien avéré avec une indivision successorale ou matrimoniale. Cette position permet d’éviter que l’attribution préférentielle ne devienne un instrument d’ingérence unilatérale dans des relations purement contractuelles, tout en assurant une protection adaptée aux situations où le maintien en indivision répond à des impératifs familiaux ou patrimoniaux.
Il n’est pas exclu que, dans les années à venir, une nouvelle inflexion soit opérée, notamment pour les indivisions conventionnelles conclues entre membres d’une même famille. Une reconnaissance plus large de l’attribution préférentielle pourrait alors s’inscrire dans une logique d’adaptation du droit des biens aux mutations contemporaines des structures familiales et patrimoniales. Toutefois, toute évolution en ce sens devra veiller à préserver l’équilibre entre protection des indivisaires et respect du principe de liberté contractuelle.
B) Limites
Bien que la jurisprudence ait progressivement assoupli les conditions d’octroi de l’attribution préférentielle, son application demeure encadrée par certaines restrictions.
Deux obstacles majeurs subsistent en la matière : d’une part, la complexité résultant des indivisions mixtes, où la superposition de plusieurs masses patrimoniales rend l’attribution préférentielle plus incertaine ; d’autre part, le statut des partenaires pacsés et des concubins, ces derniers étant exclus du dispositif en l’absence d’un cadre légal spécifique.
1. Les indivisions mixtes
Lorsqu’un bien relève simultanément de plusieurs indivisions distinctes – par exemple, à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision post-communautaire – la situation se complexifie. En principe, le demandeur à l’attribution préférentielle doit détenir des droits indivis dans l’ensemble des masses concernées. À défaut, sa demande peut être rejetée.
Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2014, la Cour de cassation a rappelé que l’attribution préférentielle d’un bien indivis suppose que le demandeur détienne des droits indivis sur l’intégralité des masses concernées (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322). En l’espèce, un immeuble dépendait à la fois d’une indivision successorale et d’une indivision comprenant un tiers, en l’occurrence une société. L’un des indivisaires, occupant le bien et souhaitant en obtenir l’attribution préférentielle, ne justifiait cependant de droits indivis que dans l’indivision successorale et non dans l’indivision incluant la société.
La Haute juridiction a rejeté sa demande en affirmant que l’attribution préférentielle ne peut être accordée lorsque le bien appartient indivisément aux héritiers et à un tiers. Cette décision repose sur une exigence fondamentale : le partage ne saurait affecter les droits d’un indivisaire extérieur à la masse successorale. Autrement dit, il est impossible d’imposer à un coïndivisaire une cession de ses droits lorsque le demandeur n’est pas engagé dans la même indivision.
Ce principe illustre la volonté du juge de préserver la cohérence des partages en évitant toute interférence entre différentes masses patrimoniales. Ainsi, l’attribution préférentielle, qui constitue une modalité dérogatoire du partage, ne peut jouer qu’au sein d’une indivision homogène, à l’exclusion des situations où la coexistence de plusieurs indivisions rendrait son application incohérente.
2. Le traitement différencié des partenaires et des concubins
Une autre limite à l’attribution préférentielle tient au statut du demandeur, notamment lorsqu’il s’agit d’un partenaire pacsé ou d’un concubin.
La loi du 15 novembre 1999, instaurant le pacte civil de solidarité, a initialement laissé les partenaires en dehors du dispositif de l’attribution préférentielle. Ce n’est qu’avec la loi du 23 juin 2006 que l’article 515-6 du Code civil leur a conféré un droit d’attribution préférentielle, calqué sur celui reconnu aux époux et aux héritiers. Désormais, un partenaire survivant peut, dans le cadre d’un partage successoral, demander l’attribution préférentielle du logement qu’il occupait avec le défunt. Toutefois, ce droit reste subordonné aux mêmes conditions que celles imposées aux héritiers et ne s’applique qu’en présence d’une indivision successorale.
À l’inverse, les concubins demeurent exclus de ce dispositif. En l’état du droit positif, un concubin survivant ne peut pas solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, même s’il constituait son domicile principal. Cette exclusion repose sur l’absence de cadre juridique spécifique au concubinage, qui reste une union de fait, laquelle n’emporte aucun effet juridique spécifique.
Toutefois, une exception existe : lorsqu’il est démontré que les concubins ont constitué une société créée de fait, l’attribution préférentielle peut, dans certains cas, être envisagée. La Cour de cassation a notamment admis, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que la reconnaissance d’une société créée de fait entre concubins pouvait permettre à l’un d’eux de revendiquer certains droits patrimoniaux sur un bien indivis (Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-12.838). Cette solution reste toutefois exceptionnelle et suppose d’apporter la preuve de l’existence d’une véritable volonté de partager les pertes et les bénéfices et d’un affectio societatis.
L’exclusion des concubins du bénéfice de l’attribution préférentielle pourrait néanmoins faire l’objet d’évolutions futures, à mesure que le concubinage tend à se rapprocher juridiquement du PACS. L’harmonisation des régimes patrimoniaux de ces différentes unions, déjà amorcée en matière de droits successoraux, pourrait conduire à une extension progressive du champ d’application de l’attribution préférentielle aux concubins, notamment lorsqu’un bien indivis constituait leur résidence principale.
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